FOCUS ON


Article d'Anton Guzman
[ Catégorie : Evènements |
Ajouté le 23-04-2025 ]




Tsuka : À l'occasion de la sortie en France au cinéma du film Ne Zha 2, je publie cet article rédigé par mon ami Anton Guzman (grand amateur de donghuas*) destiné à apporter un éclairage sur le marché actuel de l'animation en Chine (un sujet rarement traité ou même évoqué par les médias occidentaux).



"Selon des données de l'équipe créative Ne Zha 2 comportait près de 2 000 plans d'effets visuels, une échelle impossible à gérer pour un seul studio. Cette tâche herculéenne a été réalisée par un réseau de production comprenant 138 entreprises, dont plus de 80 %, soit 115 entreprises, sont des petites et moyennes entreprises (PME) réparties dans des centres technologiques tels que Pékin, Chengdu, Suzhou et Shenzhen. Ces entreprises ont géré plusieurs étapes de la production, notamment le développement de l'animation, la composition des effets visuels et la conception artistique, autant de tâches souvent externalisées à l'étranger par les studios hollywoodiens." (art People Daily's Online du 15.02.2025)
Un marché et une industrie en pleine croissance
Ne Zha 2 fait le buzz planétaire, contrairement au premier volet (2019) qui avait pourtant déjà établis son lot de records. Mais les temps changent et désormais quand la Chine éternue, le reste du monde sort le kleenex. La réception du film met en évidence le chemin parcouru par l'industrie de l'animation chinoise qui peut aujourd'hui capitaliser sur une économie en forme (+5% de croissance), un parc énorme d'écrans cinéma (CN: +90K/US: 39K), des prix sous contrôle (€5.52/$5.77, prix moyen du ticket en 2024) et un public nombreux avec un nombre de spectateurs d'animation estimé à "500 millions, dont 120 millions de spectateurs réguliers" en 2024 (art China Daily, 30.05.2024). Le succès de Ne Zha 2 et l'écho qui lui est donné, à l'image l'année dernière de celui du jeu Black Myth Wukong chez les joueurs et dans la presse suite à son succès sans précédent, catalyse l'attention mondiale pour les productions animées chinoises. Détenteur du titre de film d'animation le plus rentable de tous les temps après avoir atteint les $1.7 milliard (+250M d'entrées) au box office, le film du réalisateur Jiaozi a depuis passé la barre des $2 milliards de recettes pour s'incruster dans le top 5 absolu des champions du box office mondial, en compagnie des Avatar, de Titanic et de Avengers Endgame. Et tout ça "juste" en Chine.

Pour le monde il s'agit d'un début de reconnaissance, pour l'industrie de l'animation chinoise c'est plutôt la confirmation d'une croissance qui l'installe comme un des "épicentres" de l'animation mondiale. Lorsqu'en 2019 le premier Ne Zha devenait le film d'animation chinois le plus rentable de l'histoire ($726M, record du film d'animation le plus rentable sur un seul marché déjà), la valeur totale des revenus de l'industrie de l'animation chinoise était estimée à $26.5 milliards (art "Sustainable Development Strategy of Chinese Animation Industry" / Qianzhan, 06.2021). En 2023 elle a atteint $41 milliards selon Ma Li, président de la China Animation Association (art Global Times du 06.11.2023). Pour comparaison, l'AJA (Association of Japanese Animators) estime la valeur totale des revenus de l'industrie de l'animation japonaise à $22 milliards en 2023 (+14% sur un an). La différence indique le poids et la taille du marché chinois où sont générés 80% des revenus de l'industrie de l'animation locale (51% des revenus de l'industrie japonaise sont à l'international). Ne Zha 2, accompagné des nombreux autres succès locaux plus "modestes" des ces dernières années, entre $50M et $275M de recettes (Jiang Ziya, les films de la franchise Boonie Bears, Chang'an, Deep Sea...), et de l'offre croissante continue de séries et productions indé sur les nombreuses plateformes en ligne (Bilibili, Tencent, Yoku...) avides d'animation pour leur centaines de millions d'utilisateurs, capitalise sur ce développement.
Une croissance toujours en cours au niveau national et dont le succès de Ne Zha 2 marque une nouvelle étape. Voyez-vous, les chinois ont un plan, quinquennal, le 14ème qui court jusqu'en 2025 et vise à améliorer la qualité de leur industrie de l'animation, à créer des marques et renforcer le développement de l'ensemble de la chaîne industrielle. Parmi les objectifs il y a également celui d'amener le parc d'écrans cinéma à 100K, et d'aider à améliorer la qualité des productions en fournissant une panoplie d'aides financières et logistiques du secteur public comme privé (avec des produits financiers dédiés par exemple), ainsi que des obligations de production/promotion pour les gros acteurs du secteur.
La Chine : un marché stratégique pour l'animation japonaise
Un autre axe de croissance peu investi par l'industrie est bien entendu le marché international et nul doute que ces prochaines années devraient voir du changement de ce côté, en particulier les relations avec l'industrie de l'animation japonaise dont les productions rencontrent un énorme succès - souvent équivalent - dans les salles chinoises : Your Name ($158 millions au JP/$98M en CN), Suzume ($98M JP/$111M CN), The First Slam Dunk ($103M JP/$91M CN) ou Le Garçon et le Héron ($52M JP/$109M CN). Et il y a la quantité d'autres bonnes performances pour des productions plus mineures, comme en 2024 avec les films Doraemon: Nobita’s Earth Symphony ($25M JP/$18M CN) et Look Back ($7.5M JP/$7.3M CN), ou la sortie de Détective Conan : Croisement dans l'ancienne capitale, un film de 2003 qui avait fait $32M au Japon à l'époque et $20M en Chine... 21 ans après !

C'est sur la base de cette réalité qui fait de la Chine un marché stratégique pour l'industrie de l'animation japonaise, que les deux pays ont établi un accord cadre de partenariat en 2018 (Japan-China Film Co-production Agreement), prolongé et renforcé en décembre dernier, afin de favoriser les co-productions et la distribution sur leurs marchés réciproques. Certains au Japon se sont inquiétés du risque de fuite d'expertise vers la Chine dans le cadre de ce partenariat, mais en réalité c'est déjà le cas, et de la façon la plus organique qui soit avec les nombreux animateurs chinois officiant dans les studios japonais. Preuve indirecte, ils sont de plus en plus reconnus par le fandom qui leur consacre désormais des montages vidéos de séquences animées "sakuga" dédiés. Par exemple, une partie des réalisateurs et animateurs derrière les courts à succès - les joueurs ont été unanimement charmés - du jeu Black Myth Wukong, font aussi carrière au Japon. Et ils reviennent au pays où les conditions s'améliorent. Masao Maruyama, producteur historique de l'industrie de l'animation japonaise, prévenait déjà en 2023 que si "davantage de liberté est donnée (ndr: aux animateurs chinois), le Japon sera dépassé en un rien de temps".
Keikaku quinqennal
Ajoutez à l'équation une politique de développement continue des filières d'éducation aux arts et métiers de l'image depuis 1993 et la mise en place d'un département animation à la Beijing Film Academy, et la Chine se retrouve probablement avec le plus grand potentiel d'animateurs au monde. Ainsi, "Depuis 2001, alors qu'une trentaine d'établissements seulement proposaient des programmes d'animation en Chine, ce nombre est passé à plus de 600 universités en 2023." (Liang, H. P., Tian, L. G., & Zhang, J. H., 2024, Development and Implications of Digital Animation Education Abroad. Open Journal of Social Sciences, #12). Une proportion de ces étudiants passe d'ailleurs par les écoles d'animation à l'étranger dans le cadre de programmes d'échanges/bourses, comme en témoignent chaque année les crédits de fin de nombreux courts de fin d'étude des grandes écoles internationales.
En 2023, dans son livre "Trajectory: The Development of Animation Industry and the Evolution of Animation Art in China" (Science Press), Pan Jian, professeur à l'université de Zhejiang et vice-président du Comité professionnel de l'animation, de la bande dessinée et des jeux de l'Association des critiques de cinéma chinois, identifie trois grandes époque dans l'histoire de l'industrie de l’animation chinoise :
- L’ère cinématographique (avant 1949), où l’animation, marginale par sa production limitée, dépendait du cinéma en prises de vues réelles.
- L'ère préindustrielle (1949-2004), marquée par l’économie planifiée, où malgré les réformes culturelles des années 1990, la production insuffisante empêcha une industrialisation effective.
- L’ère industrielle (2004-aujourd’hui), caractérisée par l’essor de l’économie de marché et des industries culturelles.
Enfin, il segmente l'ère industrielle elle-même en trois périodes : essor global (2004-2011), transformation qualitative (2012-2019), puis développement axé sur les nouveaux médias (depuis 2020).
Le premier film Ne Zha, sorti en 2019, marquait en quelque sorte la fin de la deuxième période de l'ère industrielle et il est fort probable que Ne Zha 2 en fasse de même pour la troisième, tout en préfigurant une nouvelle phase dont le développement à l'international sera certainement une des caractéristiques notables, l'autre étant l'usage croissant de l'IA à différentes étapes du processus de production, une évolution technologique déjà entamée...
Le 15ème plan quinquennal (2026/2030) devrait nous en apprendre plus.
Anton Guzman
* "Donghua" signifie animation chinoise
* "Keikaku" signifie plan


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