>CGZZA:

Merci donc pour tes posts. Comme je le disais hier (trop sèchement, mais j'avais prévenu que la fatigue pouvait me faire dire des choses affreuses qu'il va s'en dire je n'pensais pas exactement), j'ai quelques remarques à faire:
j'essaye ds l'ordre mais je n'ai plus accès à ton avant dernier post dans la colonne "revue du sujet", donc j'espère que tout le monde remettra en place et fera le lien avec tes réflexions
-Alors à propos des droits d'auteur: c'est clair qu'il faut en discuter tous ensemble, mais j'y reviendrai plus tard (avec ton dernier post).
-Concernant tes histoires de scénaristes qui vont jusqu'à suivre les boards, refaire les vf et assister aux enregistrements des voix:
Je suis très content de lire ça, et je suis heureux de savoir que y'a des gens aussi impliqués dans leur métier. Néanmoins je ne peux te répondre que par ma propre expérience sur Corneil & Bernie:
On a, avec Klotz et sur proposition d'Emmanuel Franck (le producteur exécutif et auteur du concept original) demandé à la direction d'écriture de venir voir les animatiques à chaque fois qu'ils étaient presque finis. C'était la plupart du temps pour leur montrer les problèmes concrets qu'on rencontrait avec les scripts et les changements qu'on avait du apporter (ainsi que l'humour qu'on essayait d'insuffler au show -awanaguèneonetoufwrifowr, je vandammise. désolé) et leur montrer que les scripts étaient mal calibrés (longueur et nombre de dialogues).
On avait déjà fait des coupes mais sur certaines histoires, au début de la prod, on arrivait à des impasses si on voulait couper plus, en plus du besoin d'un regard extérieur.
Eh ben question regard extérieur on a été servis

:
on a eu droit, alors qu'on avait déjà apporté un boulot considérable pour réajuster les histoires et essayer de les faire rentrer ds le timing (la durée autorisée pour l'épisode), qu'à des commentaires impudents et détachés du genre: "mais ouais tu vois là et là tu coupes ça et puis tu rajoutes une séquence où tu introduit clairement tel notion pour justifier les intentions de Bernie et tu rajoutes quelques plans du chien par ci par là, pour que son point de vue à lui soit bien clair, et comme ça, ça va marcher. Allez bonne soirée

"
Tu regardes ta montre, tel CloClo, et tu t'apperçois qu'il est déja 19h30.
T'as déjà cramé ton temps d'animatique et voilà que comme des fleurs, les deux personnes qui t'ont livré un script, commentent l'histoire mise en scène qui en découle comme s'ils ne l'avaient jamais vue, et te sortent des notions à rajouter dont, stp crois moi sur parole, même en regardant le script dans tous les sens et en le lisant à haute voix à l'envers, tu ne vois pas la moindre évocation.
Et demain faut conformer le board (faire le storyboard papier def avec les plans dans le bon ordre et numérotés et toutes les indications d'action et de timing,
conforme à l'animatique def.
Donc c'est la fête tu t'y mets tout de suite avec ton chef boardeur et t'essayes de faire tout ce qu'ils ont dit, parceque t'es d'accord que c'est la meilleure solution pour redonner un sens et une cohérence à l'histoire, et que t'as intérêt à te grouiller si tu veux avoir fini tous les dessins dans la nuit, et que ton animatiqueur trouve au petit matin ds sa banette un petit paquet de nouveaux plans avec un petit mot lui expliquant tout ce qu'il faut changer.

Alors sur le fond, c'est bien qu'ils apportent des solutions parfois fort intéressantes, mais ds la forme comme tu as pu le comprendre y'a un truc qui passe (très) difficilement (en fait non, qui passe pas).
Pas de "ah ouais merde désolé, on pensait que ça allait marcher ce truc, on l'avait pas vu comme ça, ah! bien vu ce que vous avez fait là, et cette partie c'est très drôle, là, belle tentative mais si vous voulez poussez l'histoire dans ce sens, il faudrait rajouter telle idée ou la dévelloper parceque c'est vrai que c'était pas assez clair, on a essayé de faire plaisir aux chaînes sur tel point mais il a finalement affaiblit l'idée directrice de l'histoire, et maintenant que vous l'avez coupé, vu qu'on était un peu long, eh ben c'est vrai que c'est clairement bancal. Trouvons une solution ensemble qui puisse rentrer dans les paramètres de la production et qui soit satisfaisante sans exploser le budget ou votre santé

."
Au delà de ça tu me répondras peut être pourquoi attendre le dernier moment pour montrer l'animatique et pourquoi ne pas intervenir plus en amont de l'écriture pour limiter au maximum ce genre de déconvenues?
J'y reviendrai un peu plus loin en faisant le lien avec ton commentaire à propos du réal intégré à l'équipe d'écriture.
Concernant les histoires d'adaptation et d'enregistrement des voix, notre configuration était la suivante:
Les scripts ont tous été écrits en France (avec plus ou moins de bonheur

) et, une fois validés par les chaines (France3 et la BBC) étaient envoyés à un adaptateur américain renommé (Robin Steele, qui a fait un excellent travail). A la base, ce poste n'était pas prévu, Millimages n'ayant produit jusque là majoritairement que des séries pour les tout-petits, une traduction anglaise étant suffisante pour ce public (par nature littérairement peu exigent

), et à fortiori puisqu'une partie plus ou moins importante des scripts étaient écrits à l'étranger en langue anglaise.
Mais là on abordait un tout nouveau public et j'avais clairement affiché mon ambition d'en faire un programme le plus grand public possible.
Il faut bien être conscient qu'un enfant de 6 ans va être attiré par un programme destiné aux 8-14 ans, mais qu'un ado va rarement suivre un programme destiné aux 6-12 ans.
Donc si tu veux que ça plaise aux plus grands, tu dois élargir ton propos, augmenter la complexité de tes histoires et élever le niveau de tes dialogues. Tu dois stimuler au maximum et en permanence l'intellect de ton spectateur (par divers procédés dont je vous parlerai plus tard si ça vous intéresse), afin qu'il se rende compte qu'il est en face d'un programme qui s'adresse aussi à lui (adolescent voire jeune adulte) et qu'il reste captif (ne zappe pas).
Donc quand j'ai vu le niveau des traductions (littérales et maladroites) qui ont été faites au tout début de la production, je me suis dit, et E. Franck était d'accord avec moi que si on gardait la version anglaise comme ça, on était mort pour les pays anglo-saxons -et surtout le marché américain-(ce dont on a fait prendre conscience à tout le monde).
J'étais donc bien content de recevoir mes scripts adaptés en américain vraiment brillamment (le gars est cher mais il en vaut la peine, car toutes les nuances de texte ont non seulement été conservées ou adaptées, mais il a aussi modifié pas mal de dialogues planplan pour ajouter de l'ironie et une touche moderne au texte.)
Donc pour moi, une fois qu'on avait bossé sur des dialogues de ce niveau, auxquels on en avait rajouté une couche dans l'ironie et l'humour plus mature, il n'était pas question de retomber dans des dialogues premier degré ou sans intérêt, comme on pouvait en trouver dans les scripts français originaux.
A ce sujet, je me permets une petite digression:
Chez les scénaristes on trouve schématiquement 2 catégories:
-Ceux qui ont une très jolie plume et s'attachent aux dialogues, la répartie des personnages, le ton de la série, et éventuellement la caractérisation de ses personnages (ce que les personnages disent ou font révèle profondément ce qu'ils sont ou ressentent, de manière parfois subtile),
en général ceux-là ne sont pas très forts en structure (la construction de l'histoire) et leurs scripts sont parfois un peu "légers" mais globalement ça passe bien auprès des chaînes, et généralement du public, parceque ça donne des histoires faciles à lire et à regarder et globalement plaisantes.
-Ceux qui sont plus techniques, et bossent beaucoup plus la structure avant tout (l'organisation des événements de l'histoire, leur imbrication et conséquences, les intrigues secondaires voire tertiaires, la montée de tension au climax et une résolution satisfaisante). En général ceux-là sont plus rares et souffrent souvent de dialogues pas très interessants ou même mal écrits. (Il peut y avoir plusieurs raisons à cela. Soit ils ne sont pas très bons au niveau littéraire, soit ils ont utilisé presque tout le temps qu'ils se sont aloué -en fonction de ce qu'ils vont gagner pour ce travail- pour construire une histoire qui fonctionne bien et finissent avec les dialogues à la va-vite).
Cette deuxième catégorie arrive, en général, à travailler plus facilement en prise de vue reélle à la TV ou au cinéma. Si ce type de scénariste travaille de concert avec un bon dialoguiste, ils peuvent faire des merveilles. Voilà pourquoi ils sont plus rares en anim (en général, ils n'y feront que leurs débuts).
L'un et l'autre, pour diverses raisons que CGZZA a évoqué (et que j'espère nous -tu- dévelloperas plus en détail), peuvent tomber dans une sous catégorie que j'ai appellé les "scénaristes sans scrupules".
Mais ce n'est pas leur catégorie schématique de base
Ceci étant dit, je reviens aux enregistrements version française et au travail d'adaptation.
Même si je trouve que c'est en théorie* tout à son honneur qu'un scénariste veuille éventuellement suivre et corriger la version française qui apparaîtra à l'écran, je suis contre l'idée qu'il veuille la faire lui même. Nous touchons là à un tout autre métier que le sien, qui même s'il peut paraître de prime abord similaire (c'est les dialogues de l'histoire en français), a une différence de taille:
c'est un travail extrêmement technique qui est de l'adaptation constante des idées et du sens de l'histoire, et qui, avant toutes choses, doit tenir compte exactement et en permanence de l'image (les mouvements de lèvres sont imposés et on doit suivre parfaitement les battements ou pieds du dialogue pour pas que ça "flotte"). Par respect pour le spectateur mais aussi pour ta chaîne française qui a mis des millions et a permis que le programme puisse exister -tout de même- c'est la moindre des choses de ne pas lui faire subir une vague adaptation d'un truc qui marche mieux dans toutes les langues des autres pays -qui ont mis (en moyenne haute) 10 fois moins d'argent qu'elle sur le programme.
A titre d'information et pour obtenir la qualité de VF que tu verras peut-être un jour, 2 personnes ont travaillé quasi-exclusivement sur l'adaptation. Il s'agit de Dimitri Bodiansky et de Hubert Drac qui ont fait un très gros et très bon travail en bossant en parrallèle et ensemble sur les épisodes, l'un corrigeant l'autre régulièrement pour obtenir un résultat de grande qualité, cohérent et (im)pertinent dans le fond et la forme (l'image). Leur travail était bien sûr supervisé par la direction d'écriture qui se réjouissait (on les comprend

) de la qualité inespérée des dialogues français.
Rajoute à cela un réalisateur tâtillon et perfectionniste (un relou

) qui finit de tout vérifier à l'image et qui connaît les inflexions des comédiens anglais par coeur, une équipe de comédiens talentueux, qui sont heureux de travailler avec des gens investis et exigeants, et qui donc se donnent à fond (un grand merci à tous et en particulier à Manu Garijo -voix de Bernie- qui a apporté une grosse couche supplémentaire d'improvisations pleines de non-sens hilarant et de folie furieuse

), une équipe de post-prod son qui fait ses débuts dans le dessin animé mais qui veut montrer de quoi elle est capable, un directeur de plateau qui a envie de s'amuser et d'y croire, et pas de tomber les lignes (bravo Dim, ne change jamais de philosophie

) , un ingénieur du son qui refait du montage son des enregistrements, allant jusqu'à mélanger morceaux de français et d'anglais pour que tout soit parfaitement conforme, et même meilleur, que l'original (merci Pascal pour les très longues journées-nuits de mix

), et tu comprendras ma position plutôt radicale sur la question. Chaque personne fait son taf du mieux possible et en complète coopération, et n'essaye pas d'empiéter sur les plates-bandes des autres.
*cette petite astérisque est là pour rappeler quand même que, même si ce n'est pas la motivation première de tous les scénaristes, certains ne veulent pas lâcher l'adaptation française à quelqu'un d'autre parceque ça leur fait perdre une partie des droits d'auteur (un peu d'argent en plus), et ceux là sont plus intéréssés par leur compte en banque que par la qualité du produit fini. (J'ai constaté d'expérience que leur travail "d'adaptation" n'est jamais satisfaisant.) Mais bon c'est des dessins animés pour les gosses, qui c'est qui en a quelquechose à foutre que ça flotte un peu et qu'on puisse faire éventuellement mieux?
Je m'arrête là pour aujourd'hui et complèterai dès que possible -putain j'avais pris 5 post it de notes hier soir et là j'ai même pas fini de traiter le premier...
On s'refait pas.
A+
Bac +2, les enfants... c'est ça la puissance intellectuelle !